HABITER AUTREMENT ou quelle alternative au marché immobilier classique ?
Article Flash Hebdo Toulouse et Nature et Progrès
La séparation entre les moments de la journée où l’on dort (quartier résidentiel), ceux où l’on travaille (bureaux et quartiers d’affaires), où l’on consomme (grandes surfaces) est l’héritage de notre société industrielle. Cette séparation des temps de vie a fait la ville que nous habitons un système souvent contre productif, avec le casse tête de ses transports, de ses embouteillages, de ses zonages ....
Par François Plassard *
La crise du logement de ces dernières années (il manque deux millions de logements), telle une nouvelle vague, vient exacerber deux situations :
celle du logement social en HLM pour les bas revenus, avec de moins en moins de rotation et des files d’attente de plus en plus longues ;
et celle du marché immobilier privé, de plus en plus spéculatif, qui sélectionne par le haut les revenus, pour les enfermer dans des résidences sécurisées proches du centre ville ou dans des lotissements dortoirs anonymes quand on s’en éloigne vers la troisième ou quatrième couronne urbaine.
Cette dualisation conduit au grand danger d’appauvrissement de la mixité sociale dans les quartiers. Notre Histoire de France nous rappelle ces moments de surchauffes sociales où ghettos de riches et ghettos de pauvres s’ignorent avant de s’affronter, telle, par exemple, la révolution de 1848 avec 3000 morts sur les barricades !
Mais y a-t-il une troisième voie entre la logique de l’Etat (logement social HLM) et la logique spéculative du marché immobilier ?
A l’initiative de la société civile, depuis 1980, apparaît dans les pays du Nord une logique intermédiaire qui pourrait préfigurer cette troisième voie, où la mixité permet de reconstruire du "vivre ensemble". Elle a pris le nom de coopérative d’habitants en Suisse pour représenter maintenant 8% du parc immobilier avec 130 000 logements ; d’habitat solidaire en Norvège pour représenter 15 % du parc locatif avec 650 000 logements. Et au Québec, ce sont 50 000 logements qui sont gérés par 23 groupes de ressources techniques (1) issus de la société civile fédérés en association. Toutes ces initiatives citoyennes singulières ont en commun de restaurer de la mixité sociale et intergénérationnelle de voisinage, de la responsabilité et de la mutualisation de moyens pour HABITER AUTREMENT et offrir des loyers inférieurs au prix du marché spéculatif.
Les plus récentes comme en Allemagne (Fribourg) associent à la qualité des liens entre des habitants coopérateurs une qualité d’habitat à très haute qualité environnementale et à très faible consommation d’énergie. Cette troisième voie fait timidement son apparition dans quelques villes de France, elle a tenu son congrès à la Rochelle le 28 et 29 septembre 2006.
La démarche Eco Hameau
Mais la manifestation la plus insolite et originale de cette troisième voie pour HABITER AUTREMENT est celle mise en œuvre par l’association AES (les Auto éco constructeurs de l’économie solidaire) en Midi Pyrénées. En lien avec des maires de petites communes de moins de 300 habitants, elle a mis en place une forme d’habitat groupé et solidaire labellisé sous le nom d’Eco Hameau. Proche, par son rôle de médiation, des groupes de ressources techniques du Québec déjà cités, cette association a obtenu, en 2003, le premier prix national du CIME (Comité Interministériel de Mobilisation pour l’Emploi) et du réseau Balise (Banques de Ressources pour l’Innovation Sociale) sur le thème du développement durable.
Imaginez des salariés ou micro entrepreneurs de la ville qui, au bénéfice de l’ADSL et d’Internet, décident de faire d'une petite commune rurale leur choix de vie et de travail. Faites leur rencontrer des jeunes ruraux qui souhaitent construire leur maison parce qu’ils ne trouvent pas à se loger là où ils sont artisans ou commerçants. Rajoutez quelques préretraités qui souhaitent vendre leur appartement à la ville pour aller vivre une nouvelle vie à la campagne, cultiver un jardin, et s’impliquer dans la vie associative locale.
En créant un lien entre ces personnes d'origines si diverses grâce à un comité local d’accueil et de suivi, l’association AES, en partenariat avec les maires ruraux, facilite leur intégration au territoire d’accueil. En communiquant à ces nouveaux ruraux par la formation/action leur passion d’éco construire avec des matériaux locaux, les membres d’AES conjuguent économie et écologie ! Sur l'éco hameau de Verfeil sur Seye, dans le Tarn et Garonne (voir encadré), à une heure trente au Nord-Est de Toulouse, chacune des dix maisons bioclimatiques prévues autour d’une petite halle ne dépasseront pas 100 000 euros, terrain compris !
Mais l’idée la plus originale de ce rôle de lien ou médiateur de l’équipe d’AES est de réinventer ou réhabiliter le hameau : un mode individuel et collectif d’habiter l’espace, de se construire soi même en convivialité avec ses futurs voisins, d’âges différents, sans ignorer le village voisin. Soit une alternative aux lotissements dortoirs, anonymes, standardisés, qui ont banalisé ces dernières années l’entrée de nos beaux villages, comme les grandes surfaces l’entrée de nos villes, pour le plus grand profit des logiques spéculatives du marché.
Notes :
(1) - Les groupes de ressources techniques du Québec ont pour objectifs de permettre aux ménages locataires à revenus faible ou moyen, de prendre en main et de contrôler leurs conditions de logements, d'assurer la mise sur pied d’un parc de logements et de favoriser la revitalisation des quartiers par la rénovation d’immeubles.